Quand on est jeune, notre conception du milieu artistique est souvent idéaliste.
À ce stade de notre vie, nous nous représentons les artistes comme des gens libres, insouciants qui vivent de leur passion sans s’imposer de contraintes. Nous pensons que le talent, seul, suffit et que gagner son pain en tant qu’artiste se résume simplement à créer des œuvres de qualité.
Bien sûr, nous sommes conscients que tous les artistes ne roulent pas sur l’or, mais nous minimisons instinctivement la dimension financière de la carrière d’artiste.
Les dossiers de demandes de financement de projets artistiques et tous les tracas qui vont avec sont totalement étrangers à cette conception idéaliste du métier.
Mais une fois que l’art est devenu notre profession, la dure réalité s’impose à nous. Si une institution comme le ministère de la culture français rend la liste des “140 aides privées et publiques en faveur des artistes” disponible à tous les publics, c’est que des milliers de dossiers sont en concurrence pour quelques centaines d’aides.
Et cet état de fait ne se limite pas seulement aux pays francophones. Vous aurez beau adresser vos demandes dans d’autres sphères linguistiques, votre dossier de demande de financement de projet artistique sera toujours comparé par un jury à des dizaines ou des centaines d’autres demandes sur la base de critères qui dépassent souvent le cadre artistique.
Récemment, Magalie, une de mes amies Artiste en a fait l’amère expérience.
Fraîchement diplômée de la Haute École d’Arts appliqués de Genève, elle avait de l’énergie à revendre et ses œuvres étaient exposées dans des musées internationaux.
Armée de sa bonne volonté et de son CV en béton, elle s’est portée candidate pour le « Prix Suisse d’Art » qui permet aux gagnants d’exposer leurs œuvres à la Foire de Bâle.
Elle était convaincue que son travail intéresserait.
Finalement, elle n’a pas été sélectionnée. Le jour de l’annonce des lauréats, elle était à ramasser à la petite cuiller.
Magalie est une excellente artiste, mais elle ne sait pas parler de son travail. Elle a une œuvre qui est intéressante et qui intéresse le public des musées et des galeries. Mais le jury du Prix Suisse d’Art n’est pas un public de musées.
Un jury veut savoir à quel artiste il a affaire, quelle est son ambition ? Il veut savoir si les œuvres qu’elle ou il produit vont avoir un impact et si elles sont alignées sur ses valeurs.
Pour répondre à ces attentes du jury, voici les 5 pièges que vous devrez éviter à tout prix. En respectant ces points là, vous rédigerez des dossiers de qualité alignés sur les attentes du jury. Vous en aurez ainsi fini avec les déceptions et les découragements dus aux refus.
Ces recommandations s’appliquent aussi bien aux demandes de bourse, aux demandes résidences, aux prix et aux expositions.
Rédiger un dossier de demande de financement de projet artistique concis
Le premier problème de Magalie et de beaucoup d’artistes, c’est l’exhaustivité. Quand ils constituent leurs dossiers, ils étalent toute leur palette artistique.
Ils empilent les pages les unes après les autres et s’épanchent sur tous leurs travaux et toutes les expositions auxquelles ils ont pris part.
Cette tendance au remplissage se retrouve sur l’ensemble de leur dossier, mais elle est particulièrement prononcée lors de la rédaction du Statement (texte d’introduction). Ils pensent que plus ils en diront sur eux et sur leur travail, mieux ils seront compris par le jury de sélection.
Or, c’est l’inverse qui se produira.
Ces artistes ne se mettent pas à la place des membres du jury qui devront examiner des dizaines voire des centaines de dossiers.
Pour pouvoir traiter autant de dossiers, un membre du jury est limité par le temps qu’il peut consacrer à un seul dossier. Si votre dossier est trop chargé, il lira le début puis parcourra le reste en diagonale afin de pouvoir passer rapidement au dossier suivant.
Une autre raison pour laquelle le jury trouve les dossiers longs rédhibitoires, c’est qu’ils passent pour des cache-misère. En effet, un dossier trop long montre souvent que l’artiste n’est pas très clair sur ce qu’il veut faire ou qu’il n’est pas sûr de ce qu’il veut présenter.
Aussi contradictoire que cela puisse paraître, un dossier concis demande plus de temps à constituer qu’un dossier trop fourni. Trier les éléments qui doivent intégrer le dossier, de ceux qui sont superflus demande du temps. Utiliser d’autres ressources, comme un hébergement web et des liens hypertextes pour avoir assez de matière tout en évitant de bourrer le dossier en demande encore plus.
Pour en revenir au statement, sa taille ne doit pas dépasser une page A4. Comme le statement de l’artiste Ron Jude pour “LAGO”.
Cliquez sur ce lien pour accéder à la traduction au format PDF de ce Statement.
En seulement quelques lignes, Ron Jude arrive à condenser ses réflexions derrière “LAGO”.
Vous n’avez peut-être pas l’expérience de Ron Jude, mais en réfléchissant et en répétant l’expérience du statement, vous arriverez vous aussi à dire tout ce que vous avez à dire dans une seule page A4 (ou moins).
Se donner du temps
Le jour de la publication d’un appel à candidatures pour un financement de projet artistique, les organisateurs fixent généralement une date limite de dépôt des dossiers assez éloignée (2 ou 3 mois).
Ces longs délais poussent beaucoup d’artistes à procrastiner et à se dire qu’ils ont le temps de constituer leur dossier… Jusqu’à ce qu’ils n’aient plus le temps.
Quand un artiste s’y prend au dernier moment, il se retrouve débordé et le découragement le gagne face à l’ampleur de la tâche qui l’attend.
À ce stade certains renoncent et se disent qu’ils retenteront leur chance pour une autre bourse (ou prix, ou résidence …)
D’autres en revanche tentent le coup, au prix d’efforts et d’un stress considérable. Ils bourrent leur dossier puis parviennent tant bien que mal à le livrer au dernier moment. Comme Magalie, ils l’enverront le soir du dernier jour par colis postal ou sur le portail internet de l’institution pourvoyeuse de fond.
Cette manière de procéder est la recette assurée pour un désastre. En s’y prenant au dernier moment, on bâcle le dossier et on ne se donne pas suffisamment de temps pour la relecture. Des détails importants peuvent aussi nous échapper.
Le mieux, c’est de s’accorder quelques jours tampons entre la date limite de dépôt et le moment de finaliser le dossier. Dans le pire des cas, le dossier doit être terminé deux jours avant la date limite.
Mais dans le meilleur des cas, il faut se réserver au moins une semaine voire un mois pour les bourses ponctuelles.
S’adresser à la bonne personne
Le réflexe de beaucoup d’artistes quand ils se portent candidats pour une bourse ou un prix, c’est de présenter uniquement leur projet. Après tout, c’est principalement ce qu’on demande à un artiste “parlez-nous de vous même et de votre travail artistique”.
Cependant, cette approche néglige la dimension de partenariat qu’il y a dans le financement d’un projet artistique. L’artiste n’est pas la seule personne impliquée dans le projet. Les bailleurs de fonds ne sont pas complètement détachés.
Pour obtenir un financement, vous devrez leur inspirer confiance.
Vous devrez comprendre la philosophie du bailleur de fonds (ou de son institution), ses objectifs et ce qu’il veut mettre en avant.
Votre Statement, ainsi que votre projet devront être en adéquation avec cette philosophie. Le bailleur de fonds doit penser que le projet a été conçu pour lui. Il ne doit pas avoir l’impression d’avoir entre les mains un dossier standard envoyé aux 4 vents. Il doit pouvoir le lire comme un dialogue entre lui et vous.
L’élément clé ici, sera l’empathie.
Cette démarche vous demandera plus de temps qu’un dossier standardisé, mais ce ne sera pas du temps perdu, parce que le bailleur de fonds (fondation, ville, canton, institution, mécène …) aura l’impression que vous vous adressez spécifiquement à lui et sera plus sensible à votre demande.
Les 3 outils qui rassureront le bailleur de fonds
Dans le point précédent, j’ai souligné l’importance de gagner la confiance du bailleur de fonds.
Bien entendu, quand il y a de l’argent en jeu, la confiance est nécessaire. La hantise des bailleurs de fonds, c’est d’accorder leur confiance à un artiste peu fiable qui gaspillera leurs ressources et ne maitrisera pas son projet.
Pour inspirer confiance au bailleur de fond et le rassurer sur la fiabilité de votre projet, vous disposerez de 3 outils :
- Le budget : qui définit le coût du projet. Le budget est facultatif dans beaucoup d’appels à candidatures mais ce n’est pas une raison pour s’en passer. Le but d’une demande de financement de projet artistique c’est d’obtenir des fonds. Il faut donc montrer que vous maîtrisez le sujet de l’argent et des dépenses.
- Le plan de financement qui montre à qui on va demander des fonds et comment on va les demander. Il intègre les fonds propres, les fondations, les villes … Il intègre aussi d’autres institutions qui vont rentrer dans ce projet ou si une autre demande de financement est en cours ou a été acceptée. C’est un miroir du budget, le budget montre combien va coûter le projet et le plan de financement comment il sera financé.
- L’échéancier qui détermine les dates clés du projet : début du projet, fin de la réalisation, début de la promotion, vernissage, exposition, à quoi ressemblera le produit fini, début du film, fin du livre etc.
Concrètement, ces 3 outils vont vous permettre de répondre aux 3 questions suivantes:
- Combien va coûter le projet ?
- Comment sera-t-il financé ?
- Quand sera-t-il livré ?
La plupart des artistes négligent ces 3 outils. Ils parlent tellement de leur projet et du fond de leur travail artistique qu’ils ne voient pas comment il se structure.
Pourtant, ces 3 outils, s’ils sont bien utilisés, rassurent le bailleur sur la façon dont ses fonds seront exploités.
Ne pas perdre de vue l’objectif de votre demande de financement de projet artistique
Que ce soit en introduction ou en conclusion de votre dossier, vous devrez consacrer un petit paragraphe aux raisons pour lesquelles vous avez besoin de financements pour votre projet artistique.
Les mentionner ne sera pas suffisant, il faudra ajouter un sentiment d’urgence à votre demande.
Exemple pour un photographe contemporain, qui compte réaliser un projet sur une favella brésilienne:
“Mon projet artistique se base sur ce bidonville fragile et inventif qui sera rasé dans quelques mois à cause de la pression immobilière. Je dois réunir les fonds pour me rendre au Brésil au plus vite et photographier ce lieu exceptionnel avant qu’il ne disparaisse à jamais des mémoires.”
En plus de l’urgence, votre demande doit être une demande concrète et en bonne et due forme. En d’autres mots, il faut demander clairement et sans ambages : la résidence, la bourse, la subvention, le prix, etc . C’est un aspect important que les artistes ont tendance à négliger.
Ils établissent généralement un dossier centré sur la nature du projet, puis évoquent le financement, avant de conclure brutalement leur dossier par quelques formules de politesse sans exprimer de demande concrète (je suis là pour demander des fonds, une résidence…)
Généralement il y a une petite introduction à la lettre d’accompagnement qui pourrait s’apparenter à une petite lettre de motivation et dans laquelle il faudra écrire “j’ai besoin de cet argent et c’est pour ça que je vous fais une demande de financement pour ce projet”.
Cette demande devra aussi être présentée à la fin du dossier.
Pour conclure, je vais insister sur un point déjà évoqué en début d’article: le milieu de l’art est un milieu très concurrentiel et dans le cadre d’une demande de financement de projet artistique, des centaines de dossiers peuvent être en compétition.
Dans ces conditions, une mauvaise présentation ou même un petit détail apparemment insignifiant peuvent être éliminatoires.
Pour tirer votre épingle du jeu et obtenir des financements, votre dossier devra évidemment convaincre le jury de la qualité de votre travail artistique, mais il devra surtout être bien structuré.
Les 5 points évoqués dans cet article vous aideront à mieux structurer votre dossier et augmenter les chances de votre candidature.
Pour aller plus loin, je vous invite à remplir le formulaire ci-dessous pour télécharger le « Guide de levée de fonds à l’intention des artistes et créateurs ». Ce guide vous permettra de découvrir plus de techniques pour obtenir des financements pour vos projets artistiques.